L’avenir des stations #1 – Changement climatique et viabilité des domaines skiables
Le tourisme de montagne se structure depuis plus d’un demi-siècle[1] autour du produit ski (Achin & George-Marcelpoil, 2013). Par conséquent, l’hiver est la principale saison touristique et les sports d’hiver ont une place centrale dans le séjour. Ainsi, 83% des touristes de cette période pratiquent le ski ou une activité dérivée (Lecuret et al., 2014). On comprend, dès lors, que la répétition de trois hivers fortement déficitaires en neige à la fin des années 1980[2] (Gauchon, 2009) et la publication concomitante du premier rapport du GIEC sur le réchauffement significatif des températures à l’échelle du globe en 1990 ont mis en lumière la dépendance des stations au produit neige et le risque structurel qu’une telle évolution représente (Spandre, 2016).
Entre 1958 et 2002, la hausse tendancielle des températures dans les Alpes françaises a été de +1,15°C (Durand, Laternser, et al., 2009), ce qui est deux fois supérieur à celle observée à l’échelle de l’hémisphère Nord (Gobiet et al., 2014). Cette évolution n’est pas linéaire ; elle se cache derrière une grande variabilité interannuelle et se manifeste par une hausse de la fréquence des hivers où la neige fait défaut. La hausse des températures entraine l’élévation de l’altitude de la limite pluie-neige, ce qui a pour double conséquence –toute chose égale par ailleurs– de réduire le cumul de neige et d’augmenter –en temps et en intensité– les mécanismes de fonte (Durand, Giraud, et al., 2009; Lesaffre et al., 2012; Marty, 2013).
La hausse tendancielle des températures à l’échelle du globe est amenée à se poursuivre, de manière plus ou moins marquée selon les différents scénarios du GIEC (Field et al., 2014), ce qui est de mauvais augure pour l’enneigement naturel de la plupart des stations de montagne, notamment en France. Toutefois, il est réducteur de limiter la viabilité des domaines skiables au seul enneigement naturel, car les exploitants et leurs fournisseurs ont fait des progrès considérables dans la gestion de la neige, notamment en matière de damage et de neige de culture (Spandre, 2016).
Le damage augmente la densité de la neige (Fahey et al., 1999; Mössner et al., 2013), ce qui accroit sa conductivité thermique (Calonne et al., 2011; Rixen et al., 2004) et sa résistance mécanique face à l’érosion causée par les skieurs et les conditions météorologiques (Federolf et al., 2006; Howard & Stull, 2014; Keller et al., 2004).
La production de neige de culture augmente nettement la viabilité des domaines skiables (Spandre, 2016; Trawöger, 2014), mais nécessite de remplir plusieurs conditions. Il faut d’abord que les températures soient suffisamment fraiches, notamment en début de saison, ce qui n’est pas toujours le cas (Gauchon, 2009) et qui le sera de moins en moins, surtout à basse altitude. Il faut ensuite disposer de ressources suffisantes en eau pour éviter le risque de conflits d’usage[3]. Il faut enfin être en mesure de financer, d’une part, l’équipement (enneigeurs, usine à neige, retenues collinaires, études diverses, etc.) et, d’autre part, son fonctionnement (eau, énergie, personnel, etc.).
Il convient alors d’évoquer les travaux récents[4] et actuels[5] de Spandre et al., qui consistent en une évaluation de l’impact du changement climatique sur la viabilité de l’enneigement (période future), selon plusieurs scénarios du GIEC (RCP 2.6 ; 4.5 et 8.5), en tenant compte des pratiques de gestion de la neige. Autrement dit, ces scénarios prospectifs permettent d’avoir une vision synthétique et objectivée, de ce à quoi devrait ressembler l’enneigement des domaines skiables dans les Alpes et les Pyrénées françaises, d’ici à la fin du siècle. En consultant les travaux actuels de Spandre et al., on s’aperçoit que les altitudes de viabilité des domaines skiables sont très différentes avec ou sans gestion de la neige, mais varie également selon les massifs concernés.
Par exemple : l’altitude nécessaire pour être viable[6] 9 saisons sur 10, sur la période [2030-2050], selon un scénario plutôt optimiste[7] (RCP 4.5) incluant la neige de culture, est estimée à 770m dans le Beaufortain contre plus de 1800m dans certains massifs pyrénéens. Dans le premier cas, la neige de culture apparait comme une sérieuse mesure d’adaptation face à la baisse de l’enneigement naturel. Dans le second, cela semble moins évident, en tout cas pour certaines stations. L’analyse doit ensuite être affinée à l’échelle du domaine skiable, en considérant de nombreux facteurs (altitudes, expositions, ressources, etc.), mais elle donne déjà des informations extrêmement pertinentes qui doivent être considérées dans la réflexion stratégique.
Ces disparités remettent en question les discours génériques, dans un sens comme dans l’autre ; qu’il s’agisse des visions alarmistes sur la fin imminente du ski ou, au contraire, du mythe technocentriste prônant l’équipement généralisé en neige de culture pour l’ensemble des domaines skiables. La raison indique d’étudier les situations au cas par cas et à la lumière des travaux sus évoqués, afin de trouver des solutions adaptées.
Malheureusement pour les stations, le manque de neige n’est pas le seul facteur de vulnérabilité à surveiller. Elles doivent notamment s’interroger sur l’érosion de la fréquentation. Quelle est l’ampleur du phénomène ? Quelles en sont les raisons ? Nous aborderons le sujet dans le prochain article de la série.
Charles Hatier
Doctorant MDP / Irstea
[1] Le premier « plan neige » date de 1964. L’objectif est d’aménager des stations de ski dans des sites d’altitude.
[2] Les hivers 1987-88, 1988-89 et, dans une moindre mesure, 1989-90 ont été ce que l’on appelle improprement des « hivers sans neige ». Cela pouvait arriver auparavant (1931-32 et 1963-64), mais ponctuellement et les sports d’hiver étaient peu développés. Ces « mauvais hivers » ne le sont pas pour les mêmes raisons : certains sont trop chauds, d’autres trop secs ; certains commencent mal, d’autres finissent prématurément, etc.
[3] Exemples : aux Gets (2007) et à la Clusaz (2018), des sécheresses automnales ont conduit à économiser l’eau.
[4] Spandre, P., François, H., George, E., Morin, S., Verfaillie, D., et Lafaysse, M. (2018). Analyse des conditions d’enneigement des domaines skiables de l’Isère. Livrable L3. Isère Tourisme (non publié)
[5] Article de Spandre, François, Verfaillie, Pons, Vernay, Lafaysse, George et Morin, actuellement en discussion avant publication dans le journal scientifique The Cryosphère [en ligne]. Disponible sur : <https://www.the-cryosphere-discuss.net/tc-2018-253/> [consulté le 21/12/2018].
[6] L’altitude de viabilité est l’altitude à partir de laquelle on mesure au moins 100 kg/m² de neige pendant 100 jours entre le 15 décembre et le 15 avril (ce que l’on appelle la « règle des 100 jours »).
[7] Sachant que, pour la période [2030-2050], il n’y a pas de grandes différences entre les scénarios en raison du décalage dans le temps entre les émissions de GES et le réchauffement climatique qu’elles impliquent.