L’avenir des stations #2 – L’érosion de la fréquentation
L’érosion de la fréquentation se manifeste par une stagnation, voire une baisse tendancielle, du nombre de visiteurs sur la dernière décennie. Ainsi, on observe une diminution[1] du nombre de nuitées en montagne à l’année[2], qui concerne également le produit phare, puisque le nombre de journées-skieurs[3] a décliné d’environ 10% en dix ans (baisse constante de 2013 à 2017 et tendancielle depuis 2009), même si l’hiver 2017/2018 et son fort enneigement contredit la tendance.
Plusieurs facteurs peuvent être avancés pour expliquer cette érosion. On ne peut pas totalement écarter l’influence de motifs macro-économiques tels que la situation économique des pays émetteurs et du marché domestique suite à la crise de 2008 ou encore la variabilité des taux de change (ex. : chute du rouble en 2014). Mais la principale raison est certainement la maturité[4] du marché européen, dont les professionnels du tourisme de montagne ont bien conscience à en croire les nombreuses actions commerciales, notamment envers le marché chinois[5]. Mais alors, pourquoi les stations de montagne n’attirent-elles plus autant ? En fait, cette question revient à interroger leurs qualités intrinsèques : ce qu’elles proposent et ce qu’elles sont.
Il faut tout d’abord prendre en compte les nouvelles attentes d’une clientèle devenue zappeuse (Achin, 2015; Kaufman & Faguer, 2005) ; autrement dit, des clients « de plus en plus versatiles » qui « picorent au gré de leurs intérêts du moment, passant outre les grossières stratégies de fidélisation » (Appel & Boulanger, 2010). En 2017, deux tiers des touristes en station de montagne ont cherché leur appartement en ligne[6]. Cela montre, d’une part, l’importance d’internet –que les offres soient visibles et que la connexion soit en très haut débit– et, d’autre part, que ces gens sont à deux clics d’une autre station, ou même, d’une destination « soleil » bon marché.
La démocratisation du transport aérien (Gay, 2006) a permis l’émergence de nouvelles destinations touristiques remettant en question la saisonnalité du tourisme. L’éloignement est valorisé socialement, notamment sur les réseaux sociaux. Pour ceux qui ont les moyens de partir en vacances l’hiver, le séjour au ski ne va plus autant de soi. Avec internet, tout un chacun peut aisément comparer les offres et les prix ; or, les vacances à la montagne en hiver sont relativement onéreuses. Il est donc important de cerner, aussi précisément que possible, les nouvelles attentes et de s’y adapter pour se démarquer sur la qualité d’une offre expérientielle.
Les touristes recherchent de plus en plus des plaisirs immédiats et variés, tandis que l’apprentissage du ski nécessite plusieurs années. L’émergence de pistes de luge, ou de snowtubing, accessibles par remontées mécaniques et la multiplication des espaces ludiques (mille8 aux Arcs, Marcel’s farm à l’Alpe d’Huez, etc.) vont dans ce sens. On peut ajouter ici que 17%[7] des touristes ne pratiquent ni le ski ni le snowboard[8] durant leur séjour en station en hiver. Ce nombre connait une augmentation lente, mais constante[9] ; parmi eux, un tiers n’a jamais même essayé. Quant aux pratiquants, ils skient moins longtemps qu’avant, bien qu’il faille prendre en compte la diminution du temps d’attente aux remontées mécaniques.
Ainsi les touristes recherchent de plus en plus une expérience globale en station et non la consommation du produit standard (Archambault & Audet, 1997; Frochot & Batat, 2013). Quant aux touristes étrangers, il est probable qu’au-delà de la qualité de nos domaines skiables, le patrimoine immatériel –l’art de vivre à la française, la gastronomie, etc. – participe à l’attractivité de l’offre (Clergeau & Spindler, 2014). Pour notre concurrent autrichien, au-delà, de l’authenticité (architecture, tradition, etc.), on trouve une culture de l’après-ski festif particulièrement développée. Les stations doivent donc diversifier intelligemment leur offre, y compris en hiver et au-delà des activités sportives. Cette démarche doit se faire selon une certaine cohérence : la station doit dire ce qu’elle est et être ce qu’elle dit.
Il faut ensuite évoquer le corolaire des nouvelles attentes de la clientèle, à savoir le non-renouvellement générationnel. Il y a –si on en croit les récits passés (Knafou, 1978) et les études actuelles[10]– un vieillissement significatif des skieurs. En résumé, les baby-boomers ont pratiqué massivement le ski, mais commencent à déserter progressivement les pistes à cause de leur âge, sans que les jeunes générations ne se pressent pour les remplacer. D’aucuns identifient ce facteur de vulnérabilité comme potentiellement le plus important, car il arriverait chronologiquement avant le manque de neige. Les grandes institutions du tourisme de montagne en France[11] en ont bien conscience et n’hésitent pas à communiquer sur ce point, d’une part, en regrettant le déclin des Centres de Vacances et de Loisirs (CVL) et, d’autre part, en essayant de redorer l’image du ski auprès des jeunes, comme en témoigne l’opération « génération montagne » lancée en 2017.
Enfin, l’érosion de la fréquentation peut également s’expliquer par l’immobilier en station. Nous verrons dans le prochain article, en quoi l’immobilier est un enjeu central pour l’avenir des stations.
Charles Hatier
Doctorant MDP consulting / Irstea
N’hésitez pas à nous contacter pour les références bibliographiques complètes
[1] Baisse d’environ 10% en dix ans au cours des années 2000
[2] Atout France (2012). Panorama du tourisme de la montagne. Cahier(1).
[3] DSF (2018). Indicateurs et analyses 2017. Domaines Skiables de France – L’observatoire.
[4] ATOUT France (2009). Les chiffres clés du tourisme de montagne en France.
[5] Le quotidien du tourisme (2018). [en ligne]. Disponible sur : <http://www.quotidiendutourisme.com/france/ les-chinois-une-nouvelle-clientele-ski-pour-la-france/160622> [consulté le 30/08/2018]
[6] ANMSM (2017). [en ligne]. Disponible sur : <https://www.veilleinfotourisme.fr/files/2017-12/CP%20CONSOMONTAGNE%20ANMSM.pdf> [consulté le 12/06/2018]
[7] DGE (2018). Analyses. Les Français et la montagne.
[8] Cette catégorie ne comprend que ceux qui ne pratiquent pas une seule fois, mais cela ne signifie pas que les autres pratiquent tous les jours ; au contraire, le ConsoMontagne de l’ANMSM révèle une tendance au forfait journée et demie journée.
[9] Op. cit., ANMSM (2017)
[10] Op. cit., ANMSM (2017)
[11] DSF, l’ANMSM, Auvergne Rhône Alpes Tourisme ou encore l’ANEM dans son livret de 2007.